Code réseau : tout comprendre à ces règles européennes de l’énergie

Code réseau, exploitation, tension, interconnexion… Derrière ces termes se cache un ensemble de règles européennes qui structurent l’ensemble du réseau électrique. Ce guide décrypte leur origine, leur rôle dans le marché de l’énergie et leur mise en œuvre dans chaque pays pour une gestion fiable et harmonisée.

Tout comprendre en 1 min

Le code réseau est un ensemble de règles européennes définissant comment les réseaux électriques doivent fonctionner dans chaque pays. Il encadre le raccordement, le transport, la distribution et l’exploitation de l’électricité. Essentiel à l’intégration des énergies renouvelables, il fixe les exigences techniques, les procédures d’urgence et les normes d’interconnexion.

📌6 éléments à retenir :

  1. Il s’applique directement dans chaque État membre sous forme de règlement
  2. Il s’adresse aux GRT, GRD, producteurs, et utilisateurs significatifs
  3. Il structure la gestion de l’électricité : tension, fréquence, puissance, capacité
  4. Il se divise en 3 grandes familles : raccordement, exploitation, marché
  5. Il joue un rôle dans la sécurité, la régulation et l’harmonisation du réseau
  6. Il prépare le système électrique aux défis numériques et environnementaux

Définition et rôles du code réseau

Qu’est-ce qu’un code réseau ?

Le code réseau, ou grid code, désigne l’ensemble des règles techniques, juridiques et organisationnelles encadrant l’accès, l’exploitation et l’interconnexion des réseaux électriques. Ce corpus réglementaire s’applique aux acteurs qui souhaitent se connecter au réseau, qu’il s’agisse d’un producteur d’électricité renouvelable, d’un gestionnaire d’infrastructures ou d’un distributeur local.

Le terme recouvre plusieurs réalités selon les niveaux de tension concernés :

  • En haute et très haute tension, ce sont les gestionnaires de réseau de transport (GRT), comme RTE en France, qui définissent et mettent en œuvre ces règles.
  • En basse tension, ce rôle peut revenir aux gestionnaires de réseau de distribution (GRD).

Les codes de réseau sont donc des instruments essentiels de la régulation technique du système électrique. Ils permettent notamment d’assurer que toute installation raccordée respecte les spécifications nécessaires à la stabilité du système : qualité du courant, puissance admissible, fréquence, tension, comportement en cas de défaillance, etc.

Les 4 enjeux fondamentaux des codes réseau

Enjeu n°1 : l’égalité d’accès
Ces codes garantissent une égalité d’accès pour tous les utilisateurs du réseau. Une installation peut être raccordée dès lors qu’elle respecte les exigences fixées, sans passer par des négociations bilatérales spécifiques. Cette règle s’applique aussi bien à une centrale photovoltaïque de 500 kW qu’à un parc éolien de plusieurs mégawatts.

Enjeu n°2 : la fiabilité technique
Les codes assurent une fiabilité technique indispensable à l’exploitation sécurisée du réseau, notamment en cas de perturbation ou d’urgence. La définition de règles communes permet aux gestionnaires de réseau d’anticiper les comportements des installations en situation critique (îlotage, reconstitution, limitation de puissance…).

Enjeu n°3 : l’harmonisation des pratiques
Dans un contexte d’interconnexion croissante entre États membres, les codes sont un levier pour l’harmonisation des pratiques à l’échelle européenne. Le but : construire un marché unique de l’électricité fluide, sécurisé et compétitif.

Enjeu n°4 : l’intégration des énergies renouvelables
Enfin, ils représentent un vecteur d’intégration des énergies renouvelables, en fixant les exigences techniques minimales pour des technologies souvent décentralisées ou variables.

Cadre réglementaire et élaboration des codes de réseau

Origine juridique des codes européens

Les codes de réseau européens trouvent leur origine dans le règlement (CE) n°714/2009, adopté dans le cadre du Troisième Paquet Énergie. Ce texte fondateur visait à établir des conditions harmonisées d’accès au réseau électrique pour les échanges transfrontaliers, tout en renforçant la concurrence sur le marché intérieur. Il prévoyait explicitement la création de codes de réseau pour structurer techniquement l’intégration européenne.

Cette logique a été prolongée par le règlement (UE) 2019/943, issu du Paquet « Énergie propre pour tous les Européens ». Ce nouveau cadre a introduit la possibilité de développer de nouveaux codes relatifs à des domaines émergents comme :

  • la cybersécurité,
  • les services système non liés à la fréquence
  • les mécanismes d’effacement.

Il a également renforcé le rôle de l’ACER, l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie, dans l’approbation et la modification des codes.

Les codes de réseau ne sont pas de simples recommandations : ils prennent la forme de règlements européens, directement applicables dans tous les États membres. Leur mise en œuvre ne nécessite donc pas de transposition nationale.

⚙️ Qu’est-ce que l’ACER, l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie ?

L’ACER est une agence européenne indépendante chargée de coordonner les régulateurs nationaux de l’énergie. Elle veille à l’uniformité des règles sur l’électricité et le gaz dans l’Union européenne. Elle joue un rôle central dans l’élaboration, la validation et la surveillance des codes de réseau.

Processus d’élaboration d’un code de réseau

L’élaboration d’un code de réseau suit un processus institutionnel rigoureux, conçu pour garantir la participation de tous les acteurs concernés. Ce processus s’articule en plusieurs étapes :

  1. L’ACER propose une orientation cadre (framework guideline) qui définit les grandes lignes du futur code.
  2. La Commission européenne envoie alors une demande formelle à l’ENTSO-E, l’association des gestionnaires de réseau de transport européens, pour rédiger un projet de code.
  3. Une première version est élaborée, suivie de consultations publiques ouvertes à l’ensemble des parties prenantes : GRT, GRD, producteurs, industriels, autorités nationales…
  4. L’ACER émet un avis motivé et peut recommander le texte, avec ou sans modifications.
  5. En cas de validation, le code est adopté par la Commission européenne via la procédure de comitologie, impliquant les États membres.
  6. Si le projet est rejeté ou incomplet, l’ACER peut rédiger elle-même le code, qui sera ensuite adopté selon les mêmes modalités.

Ce processus prend au minimum 18 mois, sans compter le temps nécessaire à l’adoption et à la mise en œuvre. L’ensemble des codes publiés sont juridiquement contraignants et font l’objet d’un suivi de mise en application, coordonné à l’échelle européenne.

🌐 Qu’est-ce que l’ENTSO-E ?

L’ENTSO-E est le réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d’électricité. Il regroupe 42 GRT de 35 pays. L’ENTSO-E rédige les projets de codes de réseau à l’échelle de l’Union européenne et coordonne leur mise en œuvre, pour garantir un système électrique interconnecté, stable et efficace.

Typologie des codes de réseau

Classification par finalité

Les codes de réseau européens sont structurés en trois grandes catégories, chacune couvrant des aspects fondamentaux du fonctionnement du système électrique :

Codes de raccordement
Ils fixent les conditions techniques d’accès au réseau pour les différents types d’installations.

  • RfG (Requirements for Generators) : exigences de raccordement pour les unités de production d’électricité.
  • DCC (Demand Connection Code) : règles applicables aux réseaux de distribution et installations de consommation.
  • HVDC (High Voltage Direct Current) : normes spécifiques pour les systèmes à courant continu haute tension et les parcs non synchrones.

Codes d’exploitation
Ils concernent la gestion opérationnelle des réseaux.

  • SOGL (System Operation Guideline) : gestion de la fréquence, sécurité d’exploitation, échanges de données.
  • E&R (Emergency and Restoration) : procédures en cas d’état d’urgence ou de panne généralisée.

Codes de marché
Ils définissent les règles d’échange d’électricité à l’échelle européenne.

  • CACM (Capacity Allocation and Congestion Management) : gestion de la capacité et des congestions journalières ou intrajournalières.
  • FCA (Forward Capacity Allocation) : allocation de capacité à terme (échéances longues).
  • EBGL (Electricity Balancing Guideline) : équilibrage du système électrique et harmonisation des marchés d’équilibrage.

Ces codes visent tous à favoriser l’intégration européenne, à garantir la sécurité du système, à encourager la transparence des marchés, et à encadrer la connexion des nouvelles installations.

Présentation des 8 codes européens en vigueur

Les 8 codes européens en vigueur sont issus des règlements adoptés entre 2015 et 2017. Tous sont juridiquement contraignants et appliqués dans les États membres via des règlements européens.

Code Sigle Objectif principal Date d’entrée en vigueur
Exigences pour les producteurs RfG Conditions de raccordement des unités de production Mai 2016
Raccordement des consommateurs DCC Accès des réseaux de distribution et consommateurs Septembre 2016
Systèmes HVDC HVDC Connexion des systèmes haute tension en courant continu Septembre 2016
Exploitation du système SOGL Sécurité, fréquence, coordination entre GRT Septembre 2017
Urgences et reconstitution E&R Reprise d’exploitation après panne généralisée Décembre 2017
Gestion des congestions CACM Allocation journalière et intrajournalière de capacité Août 2015
Allocation à terme FCA Marché à long terme, enchères explicites Octobre 2016
Équilibrage EBGL Harmonisation des marchés d’équilibrage Décembre 2017

Contenu technique des codes de réseau

Exigences de raccordement

Les codes de raccordement (RfG, DCC, HVDC) définissent les critères techniques précis que doivent respecter toutes les installations souhaitant se connecter au réseau électrique. Ces critères garantissent la stabilité, la sécurité et la qualité du courant dans toutes les configurations.

Parmi les principales exigences, on retrouve :

  • Le respect de plages de tension et de fréquence spécifiques, selon la zone de raccordement
  • La capacité à fournir de la puissance réactive et active selon les besoins du système
  • L’aptitude à réagir de manière coordonnée en cas de défaut du réseau : fonctionnement en îlotage, redémarrage autonome (black-start), maintien de la tension.

Chaque installation doit aussi se conformer à des protocoles de communication normalisés, permettant au gestionnaire de réseau de superviser et, si nécessaire, de limiter sa production.

Exigences d’exploitation

Les codes d’exploitation (SOGL, E&R) détaillent les règles permettant de maintenir un fonctionnement stable du réseau interconnecté, en temps normal comme en situation de crise.

Ils couvrent notamment :

  • La gestion de la fréquence et la coordination des réserves (FCR, FRR, RR)
  • Le partage d’informations entre GRT via des méthodologies comme KORR, CSA ou CGMM
  • Les plans de défense et de reconstitution en cas de panne généralisée (état d’urgence, reconstitution, resynchronisation)
  • La définition de blocs RFP (réglage fréquence-puissance) à l’échelle de la zone synchrone continentale.

Ces règles impliquent la coopération de tous les acteurs : GRT, GRD, producteurs, utilisateurs significatifs du réseau.

Exigences pour le marché

Les codes de marché (CACM, FCA, EBGL) encadrent le fonctionnement des échanges d’électricité entre zones. Ils visent à fluidifier les flux, optimiser l’utilisation du réseau et garantir un prix transparent.

Parmi leurs apports majeurs :

  • Le développement du couplage de marché journalier et intrajournalier
  • L’harmonisation des enchères de capacité à long terme via des plateformes uniques
  • La définition de produits d’équilibrage standardisés échangés à l’échelle européenne.

Les NEMO (opérateurs désignés de marché) jouent un rôle central dans l’application de ces codes réseau, en lien avec les GRT et les régulateurs nationaux.

🧭 Que sont les NEMO dans le marché de l’électricité ?

Les NEMO (Nominated Electricity Market Operators) sont les opérateurs désignés pour organiser les enchères et le couplage des marchés de l’électricité à court terme. Ils permettent l’allocation des capacités journalières et intrajournalières, en lien avec les GRT et selon les règles des codes de réseau européens.

Focus sur le code E&R : état d’urgence et reconstitution du réseau

Objectifs du règlement (UE) 2017/2196

Le code de réseau sur l’état d’urgence et la reconstitution (E&R) vise à protéger la sécurité du réseau électrique européen face à des incidents majeurs. Il a été adopté par le règlement (UE) 2017/2196 et s’applique depuis le 18 décembre 2017.

Son objectif principal est d’éviter la propagation d’incidents critiques pouvant mener à un état de panne généralisée, tout en permettant une remise en service rapide et coordonnée du système électrique. Ce code est au cœur de la stratégie de résilience du réseau interconnecté européen.

Il fixe les responsabilités des gestionnaires de réseau de transport (GRT), mais aussi des GRD, des utilisateurs significatifs du réseau (USR), des coordinateurs de sécurité régionaux (CSR) et des fournisseurs de services d’équilibrage.

Plans de défense et de reconstitution

Chaque GRT doit établir deux documents essentiels :

  • un plan de défense du réseau
  • un plan de reconstitution.

Ces plans sont élaborés en concertation avec les acteurs concernés et doivent couvrir :

  • Les limites de sécurité d’exploitation et leurs seuils d’alerte
  • Les modalités de déconnexion/reconnexion des installations critiques
  • Les listes d’actifs essentiels (postes, lignes, sources de démarrage)
  • Les procédures techniques à activer : resynchronisation, redémarrage, gestion des écarts de fréquence et de tension
  • Les moyens de communication sécurisés à mettre en place
  • Un calendrier de mise en œuvre de chaque mesure.

Les GRT doivent également tester et évaluer régulièrement le bon fonctionnement des outils et équipements décrits dans ces plans.
Suspension des activités de marché en cas d’urgence

Dans certaines conditions critiques, le code E&R permet au GRT de suspendre temporairement les activités de marché. Cette mesure exceptionnelle peut être justifiée si le réseau est en panne généralisée, si les échanges de marché entravent le rétablissement du système ou encore si les outils de marché sont indisponibles ou compromis.

Cette suspension reste encadrée, temporaire et doit respecter les règles de transparence et de coordination fixées au niveau européen.

Mise en œuvre nationale et méthodologies

Méthodologies d’application validées

Pour garantir une application cohérente des codes de réseau à l’échelle nationale et européenne, plusieurs méthodologies techniques ont été définies par les GRT, puis validées par les régulateurs nationaux (comme la CRE en France) ou par l’ACER.

Ces méthodologies précisent les modalités pratiques d’application des règlements, notamment :

  • GLDPM : gestion des données de production et de consommation pour modéliser les réseaux.
  • CGMM : construction du modèle de réseau commun pour le calcul de capacités d’échange.
  • KORR : responsabilités organisationnelles et rôles des acteurs pour la sécurité d’exploitation.
  • CSA : coordination des analyses de sécurité opérationnelle à l’échelle paneuropéenne.
  • RAOC : identification des actifs critiques pour la coordination des indisponibilités.

Chaque méthode repose sur des articles spécifiques des règlements CACM, FCA ou SOGL, et leur mise en œuvre est suivie via un calendrier structuré, souvent publié sur les sites des gestionnaires de réseau et des autorités de régulation.

Focus France : organisation autour de RTE

En France, c’est RTE, en tant que GRT, qui coordonne la mise en œuvre nationale des codes. L’opérateur a notamment établi plusieurs dispositifs structurants :

Tout d’abord la création des blocs RFP (Réglage Fréquence-Puissance), répartis au sein de la zone synchrone Europe Continentale, pour garantir une gestion fine de la fréquence et des réserves.

Puis la concertation avec les parties prenantes (GRD, producteurs, utilisateurs) pour définir les exigences techniques et les méthodes applicables.

Enfin, la publication des méthodologies validées, accessibles sur le portail clients de RTE, pour assurer la transparence et la conformité.

RTE s’appuie également sur l’ENTSO-E pour coordonner les actions entre pays et participe à la mise en œuvre de solutions interopérables à l’échelle européenne. Ce rôle pivot permet à la France de contribuer activement à la stabilité, la flexibilité et l’efficacité du système interconnecté européen.

RTE coordonne la mise en œuvre des codes réseau en France.

Vers de nouveaux codes : enjeux futurs et harmonisation

Prolongement du Clean Energy Package

Le cadre réglementaire européen continue d’évoluer avec le Paquet « Énergie propre pour tous les Européens » (Clean Energy Package). Ce dispositif ouvre la voie à la création de nouveaux codes de réseau, répondant aux défis émergents de la transition énergétique.

Parmi les domaines identifiés pour de futurs textes figurent :

  • La cybersécurité des réseaux électriques, pour anticiper les risques numériques sur les flux transfrontaliers
  • Les services système hors fréquence, essentiels pour intégrer une production renouvelable croissante
  • La participation des mécanismes d’effacement dans l’équilibrage du réseau
  • L’extension des règles de flexibilité, incluant les consommateurs actifs, l’autoconsommation ou les batteries.

Ces évolutions sont portées par la Commission européenne, en coordination avec l’ACER, les GRT via l’ENTSO-E, et les autres acteurs du marché. Elles devront maintenir un équilibre entre innovation technologique, sécurité d’exploitation et équité d’accès.

Un modèle harmonisé pour l’Europe de l’électricité

L’objectif à long terme des codes de réseau est de construire un modèle européen intégré, capable de :

  • Gérer un système électrique interconnecté, résilient et intelligent
  • Faciliter les flux d’électricité entre pays en supprimant les barrières techniques
  • Renforcer la transparence et la confiance dans le fonctionnement des marchés
  • Optimiser les coûts de gestion des infrastructures grâce à des règles communes
  • Promouvoir l’efficacité énergétique par une planification et une exploitation coordonnées.

L’harmonisation des pratiques entre États membres est donc une condition indispensable à la réussite de la transition énergétique européenne. Les codes de réseau en sont l’infrastructure invisible, mais fondamentale.